— Comment l'appellerons-nous ? demanda Biggie.
— Attaque aérienne ? Ou plus simplement Schrapnell ? Flak ? Mégatonne ?
Mais après que mon père m'eut officiellement déshérité, je pensai à donner à l'enfant un prénom familial. Le frère de mon père, l'oncle Colm, contrairement aux autres Trumper, était fier de ses origines écossaises au point d'avoir ajouté Mac à son nom. Quand il venait nous voir pour Thanksgiving, il mettait un kilt. Le Hardi Colm Mac Trumper. Après les repas, il pétait fièrement, et insinuait que si mon père s'était spécialisé en urologie, c'était à la suite de graves troubles psychologiques. Il demandait toujours à ma mère quelle jouissance particulière elle éprouvait à baiser avec un tel spécialiste, et répondait toujours lui-même à sa question par un « aucune » franc et massif.
Le premier prénom de mon père était Edmund, mais l'oncle Colm l'appelait systématiquement Mac. Mon père haïssait l'oncle Colm. Si bien que, lorsque l'enfant parut, je ne trouvai pas de prénom plus approprié que Colm.
L'idée plut également à Biggie.
— Colm, ça ressemble à un de ces bruits que nous faisons quand nous sommes au lit.
— Colm, colm, colmmmmmmmm...
— Mmmmmmmmm !
Il y a, chez Irving, quelques impondérables dans le parcours de ses alter-ego de papier. Vienne, la lutte, un sale caractère, lui-même modéré par une compagne au sale caractère, du sexe, beaucoup de sexe, des galères, et un amour immodéré pour les petits bouts de chou. Un amour déraisonné même, dans le cas de Fred "Bogus" Trumper, qui se réveille dans la nuit en criant, croyant que son fils vient de se tuer (« Regarde, Big ! Il est mort ! — Pour l'amour de Dieu ! Il dort ! — Regarde comment il est... Il s'est brisé la nuque ! — Tu dors dans la même position, Bogus. » Eh bien, tel père, tel fils ; je me sens parfaitement capable de me briser la nuque dans mon sommeil.). Je ressens une affection certaine pour ces personnages bourrus, impulsifs, à la mauvaise foi appuyée (Garp, dans le Monde selon celui-ci, en fut le prototype parfait, il y a vraiment un air de ressemblance dans la plupart des héros d'Irving (nonobstant qu'Homer Wells de l'Œuvre de Dieu la part du Diable fût un peu à part pour le moment dans mes lectures, son amour d'Ange Wells fut tout à fait prégnant) ), mais ma sympathie pour ces ours (qui ne sont certainement pas sans rappeler mon gros papa ours à moi) atteint son apogée quand ils parlent de leurs enfants, de leur bonheur d'avoir leurs enfants, de leur peur de perdre leurs enfants.
Vendredi, après 16 heures de bus, une demi heure de métro, deux heures de supportage de râlage d'utilisateurs de la sncf (grève sur le seul axe normand, c'est ballot), je me retrouvai dans un charmant wagon (pardon, une voiture me dit mon papa, le wagon c'est pour les bêtes) avec toutes sortes de gens, et deux petits nains jumelés qui me regardaient d'un air fourbe. Il faut savoir que je n'aime pas les garçons à partir du moment où ils sont capables de jouer au foot (ou pire, de le regarder), donc je le sentais un peu mal le voyage. Mais là, leur maman arriva et les jeta dehors comme y'avait pas de place pour tout le monde, pour les remplacer par leur petite sœur de 7 ou 8 ans, et un p'tit marmot d'un p'tit an (ou pas loin, j'ai pas encore le regard expert d'une mère multi-rejetonnante). Tout d'abord, la petite fille métisse en robe rose m'apparut comme une parfaite réplique de mini-Dobby telle que décrite sur son blog et telle qu'imaginée par moi. Puis, quand elle prit son petit frère dans ses bras, et commença à jouer avec, lui faire des bisous sur le menton, ou lui donner à manger en en foutant plein partout*, je ressentis comme un étrange phénomène en moi. Et je compris, sans avoir ouvert un seul Metropolitan, que mon horloge biologique venait de se réveiller et de se mettre sur la position "maman poule". J'eus une soudaine envie de rapter ces gamins et de m'enfuir très loin dans une montagne pour les élever tout seul, en leur donnant des noix à manger et des écureuils morts pour s'amuser. Mais il eût fallu emmener les deux joueurs de foot et cela me plut moins sur le coup, d'autant que le petit frère eût fini par grandir, et la mini-Dobby par réclamer des bouquins et des pots de Haagen-Dasz ; à moins que je ne les tuasse avant, et que j'en volasse d'autres (technique dite du Tamagochi), peut-être ; ou peut-être même, fût-ce en dernier recours, d'attendre quelques temps pour trouver la femme de ma vie et élever mes propres enfants dans le digne mépris de télé-foot et des tubes des années 80 (oui, le concept de la mini-Dobby a fini par me faire très peur). Non, en fait, la femme de ma vie, c'est pas obligé. Enfin pour faire des mômes, hein. N'importe qui suffira pour satisfaire mon besoin hormonale de layettes et de petits pots. N'importe qui. S'il vous plaît.
* L'Encyclopédie des bébés de Goossens nous renseigne bien sur le sujet : il est de notoriété scientifique que la nourriture du bébé suit un vrai parcours du combattant, passant par divers rites de purification intra-nasaux, une longue opération de pétrissage savant, se terminant généralement par un voyage au bout de la nuit dans une couche crotteuse, avant d'être récupérée difficilement pour être rexpédiée dans une suite d'opérations très calibrée, embouchage, mastiquage, mangeage, rôtage, dégobillage, re-pétrissage, re-couche-crottage, re-embouchage, re-mastiquage, re-mangeage, ratage de re-rotage, étouffage, hurlementage, mort.
N.B. : Je raconterai plus tard mon voyage à Prague, même que ce sera super conceptuel, tu vois, ce sera comme un journal de voyage, qu'on lira jour après jour, sauf que je vais l'écrire après. Mais ce sera posté au jour que ça arrivera. Tu suis ? Bon, par contre j'arrangerai beaucoup les notes prises pendant le voyage pour vous épargner les larmoiements pathétiques sur mon célibat et les supputations mammaires sur mes voisines de chambre.
Edith a encore rajouté des photos sur la note animalière, pour Luciole.