samedi 18 novembre 2006

Julie, Benjamin, le camion, l'amour

Chapitre 33

- Si je calcule bien, dis-je, Liesl et le vieux Job se sont offerts dans les quatre-vingts années de vie commune, c'est ça ?
- Quatre-vingt-sept années exactement. Ils ne se sont plus quittés depuis cette rencontre, au café central.
Nous avons vidé le lac d'Annecy avec nos petits verres. Le grand camion blanc tanguait sur la route de Grenoble.
- La belle amour, dis-je.
Le camion blanc fit un écart nerveux.
- L'amour, toujours l'amour, tu nous pompes l'air avec ton amour, Benjamin !
(Ouh là... humeur)
Mains crispées sur le volant, regard-horizon, Julie s'était mise à conduire comme on s'acharne.
- Tu me donnerais presque envie de repiquer au cul pour le cul.
Ecrasement du champignon. Bond de la bête blanche. Je me suis tenu à la poingnée de la portière et au sujet de la conversation.
- Ah ! bon, quatre-vingt-sept années de vie commune sans amour, alors ?
Hurlement des virages.
- Le monde selon Malaussène : avec ou sans amour ! Pas d'alternative. Le devoir d'amour ! L'obligation au bonheur ! La garantie-félicité ! L'autre dans le blanc des yeux ! Un univers de merlans frits ! Je t'aime tu m'aimes, qu'est-ce qu'on va faire de tout cet amour ? La nausée ! De quoi s'enrôler dans la horde des veuveurs !
- Les veuveurs ?
- Les veuveurs ! Les faiseurs de veuves ! Qui nous libèrent de l'amour ! Pour donner une chance à la vie ! Telle qu'elle est ! Pas aimable !
J'ai regardé le ciel. Pas le moindre nuage. Une colère bleue.
- D'où ça te vient, cette religion de l'amour, Benjamin ? Où est-ce que tu l'as chopée, cette vérole rose ? Petits cœurs qui puent la fleur ! Ce que tu appelles l'amour... au mieux, des appétits ! Au pis, des habitudes ! Dans tous les cas, une mise en scène ! De l'imposture de la séduction jusqu'aux mensonges de la rupture, en passant par les regrets inexprimés et les remords inavouables, rien que des rôles de composition ! De la trouille, des combines, des recettes, la voilà la belle amour ! Cette sale cuisine pour oublier ce qu'on est ! Et remettre la table tous les jours ! Tu nous emmerdes, Malaussène, avec l'amour ! Change tes yeux ! Ouvre la fenêtre ! Offre-toi une télé ! Lis le journal ! Apprends la statistique ! Entre en politique ! Travaille ! Et tu nous reparleras de la belle amour !
Je l'écoute. Je l'écoute. Le ciel est bleu. Le moteur s'est emballé. Je suis loin de Paris. En voyage. Prisonnier de l'extérieur. Pas de siège éjectable.
Elle s'est mise à grommeler, en espagnol :
- No se puede vivir sin amar...
Elle ricane. Elle tape sur le volant. A pleines paumes. Pied au plancher, elle gueule :
- No se puede vivir sin amar ! Ah ! Ah !
Un vrai cri de guerre.
Le camion pique à droite, fait une embardée sur un promontoire de terre brune. Poussière. Frein à main. Pare-brise. Immobilité. A une roue du précipice. Souffle court.
Elle ouvre la porte. Elle saute. Elle se découpe sur fond de vallée bossue. Elle shoote dans un caillou. Le silence tombe, tombe.
Tombe.
Elle s'accroupit au-dessus du vide.
Eternité.
Elle se relève.
Le ciel sur les épaules. Les bras le long du corps. Ses yeux à ses pieds.
Elle souffle un bon coup.
Elle se retourne.
Elle remonte sur son siège.
Elle dit :
- Excuse-moi.
Elle ne me regarde pas. Ne me touche pas.
Contact.
- C'est passé.
Elle répète :
- Excuse-moi.
Marche arrière.
Le camion blanc reprend la route.

Daniel Pennac, Monsieur Mallaussène


Conclusion : les gonzesses, quand ça gueule, yaka la boucler :'D

(conclusion provisoire, je finirai cet article plus tard ^^)

Edith du lendemain, même heure : il est tard, j'ai envie de dormir, et de toutes façons j'ai pas encore reçu assez d'insultes pour ma conclusion :'( donc demain la suite !!

Edith de très beaucoup de jours après : apparemment ma conclusion provisoire n'a pas déplu à tout le monde, étonnant (note pour moi-même > essayer les blagues racistes la prochaine fois)
hum... j'ai toujours autant de choses à dire sur cet extrait, que ça me décourage...vraiment...
je vous dirai donc simplement de lire, lire, et relire ces quelques mots, apprécier le rythme très précis des phrases, l'alternance dialogue/sentiments intérieurs/décor, sentir, ressentir la violence de la colère de Julie, la tension dans l'air, l'attitude ambigüe de Benjamin (il évite le débat ? il sait que le dialogue est impossible ? il l'écoute au moins ? Il n'est pas révolté d'être ainsi rabbaissé ?), et puis... juste réfléchir... a-t-on encore le droit d'être innocent à mon âge ? de croire en l'amour ? un couple, c'est de la résignation, des compromis, de la saloperie refoulée, une mise en scène ?

C'est tout de même terrible... aimer quelqu'un parce qu'on ne trouve rien d'autre... rester avec parce qu'on a peur d'être seul... et continuer... et continuer... et continuer... se mentir... attendre... perdre la force... perdre la patience... perdre la foi... se détruire... petit à petit... et mourir.

C'est ça qui m'attend ?

Mais même si c'est ça qui m'attend... pourquoi devrait-on toujours voir les choses en face ? allumer la télé, et se dire qu'on est dans la merde ?
C'est ça, sans doute, le silence de Benjamin. "Oui, il existe des millions de raisons qui nous font dire que l'amour n'est qu'un tas de mensonges et de faux-semblants... mais j'y crois."
Et la colère de Julie, c'est quoi finalement ? La frustration de ne pas avoir autant la foi ? ou plutôt, de trop en savoir pour y croire ? mais... Benjamin, il n'aurait pas besoin d'aller très loin pour trouver de quoi bousiller sa belle théorie de l'amour, c'est loin d'être un imbécile heureux ou un inculte total. Donc... la fin du passage, est-ce bien une résignation de Julie face à aux faux-semblants de son couple à elle ? (elle n'est pas du genre à se laisser avoir comme Job et Liesl - l'exemple-type apparemment de ce qu'elle dénonce) ne serait-ce pas plutôt une intégration progressive (et difficile) de la religion de Benjamin ? l'amour de Benjamin qui l'envahit, la rassure, la calme, malgré son besoin d'indépendance, malgré son prosaïsme...

En tout cas... le monde selon Moudi, ce sera avec amour, définitivement.
Je serai un vrai Benjamin, borné, obtus même, tant il est vrai que l'Amour est la seule religion qui pour moi mérite un peu d'intolérance, d'intransigeance...

Bon, et dans tout ça, elle est où ma Julie ? ("^o^)

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Pff, tu veux te faire taper dessus ? ^^" (je te laisse le bénéfice du "plus tard" quand même...)

Anonyme a dit…

T'en voulais plus ? ça peut s'arranger ^^

Striga a dit…

MDR ta conclusion est bonne mon petit Moudi ! Quand une femme gueule mieux vaut la boucler sinon ça peut devenir dangereux XD
Mdr tu le sais, non ? parce que vu le nombre de fois ou je me suis emportée sur toi qui n'avais rien fait par MSN !

biz

Anonyme a dit…

et si justement l'Amour se crée parce qu'on y croit...
Ou alors pour une autre raison...
peut être cherche t on à rationnaliser quelque chose d'irrationnalisable, peut être cherche t on à comprendre ce qui n'est pas compréhensible.
L'amour ne se commande pas, il se vit, avons nous le choix d'aimer une personne?
certains parlent d'hormones, moi je pense qu'il y a plus. une sublimation de l'autre, un Amour, imossible à dire, à décrire.
L'maour se crée parce qu'on y croit, mais l'Amour choisit sa victime. il n'explique pas ses décisions, ses choix, il ne se contente que de désigner.
C'est à nous de vivre heureux, refuser ou accepter la personne.
mais au moins faut il avant reconnaître cette personne ce qui n'est pas non plus facile.
Finalement, nos vies sont le résultat de nos choix.
Benjamin et Julie s'aiment surement et le savent. ils ont fait le choix d'être ensemble pour le meilleur et pour le pire, mais peut être aussi qu'avec un autre ce serait pire.
qui sait?
Ils ont fait leur choix, c'est la notre force, et ce sont ces choix qui peuvent transcender encore plus l'Amour!

Striga a dit…

ben c'est re-moi !
Alors j'aime bien ta conclusion Moudi mais ça tu le sais déjà, vive msn ;)
non sérieusment tu dit de très belles choses tout comme "Ronan" dans le com du dessus! Vous faites réflécchir messieurs !
Simplement que moi l'amour m'a fait souffir et que du coup j'ai du mal à y croire vraiment . Je n'ai pas envie de croire à quelque chose qui fait mal et qui blesse . Mais je vais te dire Moudi notre petite discution sur le sujet m'a fait secouer un peu mes neuronnes et j'ai décider de laisser faire les choses ont verra bien !
donc suite au prochaine épisode hein !
Merci pour tout moudi

biz de la vampirette ^^

Anonyme a dit…

Eh bien, on parle de l'amour, mais est ce que vous l'associé à la passion? Peut-être que l'auteur voulait dire que l'amour devient monotone, le début d'une relation, quand on est jeune beau, plein d'énergie c'est de l'amour passionné où l'on baise, ou se montrer, ou l'on crit, comme Julie que l'amour est beau, mais inévitablement,le mariage , les enfants, la maison, le travail, le corp viellit, l'esprit aussi. La passion fait place au raisonnable, et l'amour mûrit, si on est chanceux il ne pourrira pas. La passion disparait, c'est plus pareille, mais on se rappelle l'ancienne passion, et on reste ensemble pour espérer la revivre. On ne se quitte pas parce qu'on ne peut pas ,il y a les enfants, le trvaille , la maison, mais surtout: la peur, parce que on s'attache à ce qu'on a construit, il y a une relation et un complicité incroyable dans un vieu couple, mais pas autant de passion que dans leurs premiers jours peut-être même, plus aucune, alors on pense que l'on aime plus, mais c'est faux, l'amour reste mais à travers les années elle change et se vit de façons différente mais elle ne disparait pas pour autant, alors , vivez votre amour tout simplement. Suivez son cours, ne vous posez pas trop questions, cessez de vous archarner à le décrire car l'amour ne se décrit pas, elle se sens.

Anonyme a dit…

pitiiiiiiiiiiiiiier my god on se calme, l'amour c ce quia de plus simple.

Alors : Aimez et poser plus de question, baisez et laissez vous aller,sinon pleurer sa vas vous soulagez.

Anonyme a dit…

ce que Ronan a écrit m'épate par son exactitude. La vie à 2 y est très bien résumée, je m'y retrouve, même si dans un sens ça me fais peur ...