mardi 13 février 2007

La lettre, le clou, la rhétorique

LETTRE 104

Madame, à moins que d'estre cloüé à Paris, rien n'eust pû m'empescher d'aller aujourd'huy à Poissy, car quelque chose que j'aye dit d' une autre princesse, il n'y en a point au monde que je voye si volontiers que vous. Mais comme vous sçavez, madame, qu'un clou chasse l'autre, il a fallu que la passion que j'ay pour vous, ait cedé à une nouvelle, qui m'est survenuë ; et qui, si elle n'est plus forte, est pour le moins à cette heure plus pressante. Je ne sçay pas si vous entendrez cecy qui semble n'estre dit qu'en enigme ; mais je vous asseure que j'ay une raison fondamentale de ne bouger d'icy, sur laquelle je n'ose appuyer, et qu' il n'est pas à propos de vous expliquer davantage. J'ay deliberé long-temps en moy-mesme si je devois aller et il y a eu un grand combat entre mon coeur, et une autre partie que je ne nomme pas : mais enfin, madame, je vous avouë que celle qui raisonnablement doit estre dessous, a eu le dessus, et que j'ay mis devant toutes choses, ce qui naturellement doit estre derriere. Je vous jure pourtant qu'en l' assiette où je suis, je ne pouvois pas faire autrement, et que vous qui estes la plus considerée personne du monde, et qui faites tout avec ordre, n'en eussiez pas fait moins que moy, si vous eussiez esté en ma place. Je prie Dieu, madame, que vous ne vous y voyez jamais, car en l'estat où je me trouve, il n'y en a point de bonne pour moy, et je suis par tout comme sur des espines. Je ne puis aller à pied, je suis fort mal à cheval, le carrosse m'est trop rude, et les chaises mesmes de Monsieur De Souscarriere me sont incommodes. Je suis vostre, etc.

A Paris, le 5 Aoust 1639.

Vincent Voiture



Ce texte est à mouuuuurir de rire.

Si si je vous jure !

Vous ne me croyez pas ?

Tiens donc...

Vous avez pourtant une suuuperbe métaphore filée, du meilleur goût !

Non, vraiment ?

Relisez-le une fois, pour voir...

Vous voyez toujours pas ?

Tout n'est que métaphore, syllepse, périphrase, allusion, réticence, prétérition...

Bon, des indices ?

Pensez à chercher derrière le sens premier des mots... La position d'écrivain n'est pas forcément très bien assise, vous savez... La position d'écrivain amoureux encore moins. Il suffit parfois d'un simple clou qui vous agresse la peau (si chère à votre coeur), et déjà votre affection est remplacée par une autre, comme un clou chasse un autre, mû par un terrible culot. Le fondement même de la souffrance. En cette assiette, comme on dit d'un cavalier sur sa selle, cloué littéralement à votre lit, la moindre pression vous met alors à la renverse, ce qui risque de vous coûter votre pantalon... jusqu'au dernier bouton. :-)

(Un grand merci à M. Lopez, mon professeur de Rhétorique Classique, pour ces beaux fous rires difficilement contrôlés durant ses explications passionnantes)

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